Arnaud et moi on est comme des fous, excités par la perspective de cette partie de pêche. On roule à tombeau ouvert avec notre voiture de location chinoise en toc. Mentalement en conduisant je pense aux quelques gestes élémentaires qui tout à l’heure me permettront de gagner un peu de temps; parce que du temps, on en aura jamais assez ! Dans la matinée les filles vont se réveiller et on a tous prévu de partir bien avant midi vers la prochaine étape du voyage.
On est vraiment pas loin du pont et je sais déjà comment procéder efficacement à notre arrivée : assembler la canne, monter le bas de ligne en acier, y fixer le leurre et la pêche miraculeuse pourra alors commencer. Sur ce pont à Cayo Coco hier en pleine lumière c’était presque inespéré : les eaux turquoises, le courant favorisant la présence des pélagiques, les gros barracudas, des raies gigantesques, les bancs de carangues, et on s’était dit qu’on y viendrait à la fraîche avant de quitter ce coin paradisiaque.
On est maintenant devant le pont, je gare la bagnole à la va-vite, coupe le moteur, et la fête peut alors commencer ! On était à ce moment très loin d’imaginer que ce serait la nôtre de fête ! Et elle a commencé dès qu’on a ouvert les portières : vraisemblablement prévenue de notre arrivée, une escouade de moustiques nous souhaite copieusement la bienvenue. Les bras s’agitent dans tous les sens, on a vraiment envie d’aller pêcher mais les piqures sont insoutenables, on tient juste quelques secondes avant de s’engouffrer précipitamment à l’intérieur.
Là la bataille dure encore jusqu’à l’extermination de l’armée ennemie. Ça gratte, ça brûle, sur les bras, dans le coup, sur la tête, les cloques apparaissent et on est comme des cons, pauvres pêcheurs (à la ligne !), retranchés dans notre bastion sans espoir de pouvoir en sortir indemne.
On ne va quand même pas rester la matinée, assis sur nos sièges, à rêver aux belles prises qui nous tendent les nageoires. Une nouvelle stratégie est tout de suite imaginée : on va rouler jusqu’au milieu du pont où l’on espère ne pas voir de moustiques grâce à la brise marine, on décharge le matos et on retourne se garer au même endroit pour ensuite piquer un sprint sur le pont.
La stratégie est aussitôt mise en pratique et seul le conducteur est sacrifié, à l’aller, mais aussi au retour quand il s’agira de quitter les lieux. Le sacrifié c’est moi, et j’en profite pour battre le record mondial du 200m en tong (dans la catégorie « vétéran »). Parallèlement quelques moustiques battent le record Cubain de vitesse en vol libre et on est à nouveau confronté provisoirement au milieu du pont aux baffes sur les bras, sur les jambes, sur la tête, mais la lutte est inégale et on peut enfin crier victoire : on va pêcher à partir du pont.
Avec fébrilité on se prépare, dans l’affolement j’ai complétement éludé toute ma préparation mentale de tout à l’heure, je lance enfin mon leurre vers un banc de barracudas en contrebas, un énorme monstre (un barracuda également) apparaît aussitôt qui fait fuir les petits mais dédaigne l’appât, merde il a déjà pris son petit déjeuner ! Des « baby » monstres sont plus voraces et l’un d’eux se jette sur le leurre mais coupe instantanément le fil car j’ai oublié de mettre un bas de ligne en acier, c’est ballot !
Seul Arnaud pourra attraper son barracuda et on pourra vérifier que ces animaux sont cannibales quand on va le rejeter à l’eau ; cannibales et futés parce qu’ils ne mordront plus aux leurres après …
On ne peut toutefois pas définir Cuba seulement comme le pays des plages somptueuses aux eaux peuplées de barracudas, des moustiques voraces ou des voitures de location chinoises ! Il faut absolument venir partager la vie des Cubains dans les « casas », fumer les Cohiba, Montecristo ou autres Roméo y Julieta, siroter un Mojito à la tombée de la nuit tropicale, vibrer au rythme de la salsa dans les rues de Santiago, de la Havane ou de Trinidad, déjeuner de langoustes sur les plages, se délecter des anachronismes omniprésents dans les villes, sur la route, mais pas dans l’esprit des Cubains eux-mêmes, si curieux des autres : nous, bienheureux touristes !