Quand on a vu Steve et son acolyte sortir les branches flexibles avec fils et hameçons, on s’est tout de suite rappelé que la balade sur le fleuve Amazone prévoyait une partie de pêche et que c’était là un bon moyen pour chacun d’améliorer son score sur le tableau des prises.
On est tous monté sur la longue pirogue à moteur direction la première plate forme militaire pour le contrôle du fleuve : c’est le poste Colombien de la ville de Leticia, et rapidement l’officier de bord donne les autorisations pour naviguer. Au regard de la liasse de papiers qu’il rend à Steve on peut penser qu’il y a un paquet de démarches administratives avant de montrer patte blanche ! Après le contrôle Brésilien qui se fait sans problème, ce sont les Péruviens, plus tatillons, qui nous obligent à effectuer un A/R pour semble t-il récupérer des formulaires d’assurance manquants.
Le fleuve est large à cet endroit, des embarcations de toutes sortes se croisent en tentant d’éviter les branches et troncs d’arbres charriés par les flots boueux. Des petits cargos sont amarrés dans les eaux profondes et on comprend que cette voie navigable est hautement stratégique et donc le pourquoi de la présence militaire visible des trois pays frontaliers. La Colombie et le Pérou en étaient même venus aux mains militairement au 19ième siècle pour la possession de Leticia avec donc à priori un avantage certain à la Colombie.
Des eaux sombres, émergent par moment des groupes de dauphins roses. Plus fins que leurs cousins marins ils virent du gris au rose avec l’âge et non l’inverse comme chez certains humains, humains qui se font de plus en plus rares sur le fleuve au fur et à mesure de notre balade. Les seuls encore présents sont à la pêche et nous achetons sur le chemin un gros poisson chat tacheté qui sera le met principal de notre repas du midi. Après une pause dans la petite bourgade animée de Benjamin Constant au Brésil où l’acolyte part acheter des victuailles, nous accostons bientôt près de baraques sur pilotis; une jeune fille sur un ponton lave des poissons un peu bizarres (bizarres pour nous, surement pas pour elle !) et dans le tas il y a des piranhas de toutes tailles. Même morts, les gros noirs font un peu peur avec leur bardée de dents triangulaires.
On est sur un des innombrables bras d’un des innombrables affluents du fleuve, toute la boustifaille est débarquée pour la préparation du repas, Steve nous explique sans rire qu’il y a encore des tribus cannibales quelques centaines de kilomètres plus loin, et le plus important : on a une petite heure pour une partie de pêche. Le canot est redémarré, 5 minutes plus tard on est sur les lieux, un petit poisson découpé, les appâts sont prêts et c’est parti (mon kiki !).
« accroche moi un appât » me demande Clara, ma ligne n’est pas encore prête, les autres sont déjà dans l’eau, ça mord, les fils se tendent, l’excitation grandit et déjà une première prise, « Merde, j’suis accroché ! », idem pour Steve qui casse, il faut remettre un hameçon, encore un appât pour Clara, les poissons tombent au fond du bateau et surnagent dans un filet d’eau, impossible à attraper entre les lattes de bois, « mais je me disperse », « remets toi donc à pêcher ! », et non, mon regard est attiré ailleurs, vers les autres lignes et ça mord toujours et les poissons tombent toujours au fond du bateau, on dirait que je le fais exprès, je suis partout sauf à la pêche, « c’est quoi mon problème ? », « tu veux laisser de l’avance aux autres ? », en plus quand ma ligne est à l’eau ça mord comme les autres mais quand je ferre, rien, nada ! « c’est l’hameçon, c’est sur ! ». Pourtant il y en a des poissons : des petits poissons chats avec des longues épines sur le dos et les côtés, mes doigts s’en souviennent encore, des piranhas gris au ventre rouge et des sortes de scalaires d’aquariophile au corps argenté.
Et c’est déjà le moment de partir ! « c’est pas possible, on vient juste d’arriver ». C’est la consternation, Clara fait un carton plein et moi rien, et les autres aussi ne sont pas en reste ! Après le repas on a remis ça du ponton, puis les jours suivants sur le rio Tacana près de chez Steve et Elena mais ça n’a pas changé grand-chose aux scores. J’avais promis à Ramy parti à Carthagène que je pêcherais pour nous deux, mais zéro divisé par deux, l’addition est vite vue !
Après donc le repas de poisson grillés nous avons flânés un peu sur les passerelles de la bourgade péruvienne d’Islandia. Quand nous naviguions, de grands aras survolaient le fleuve de temps à autre et on entendait distinctement leur ramage à défaut de pouvoir admirer leur plumage. La nuit tombe maintenant, Steve fait un slalom entre les maisons flottantes près de la rive et manque de renverser l’homme de quart à la proue de la pirogue (en fait son acolyte) à cause d’un câble aérien, au moment où le moteur se prend dans un cordage immergé et est à deux doigts de tomber à l’eau.
La dernière péripétie n’est pas vraiment ce qu’on retiendra de cette mémorable journée passée sur le fleuve Amazone.