Il y a le jour J, il y a le jour de gloire, il y a le jour le plus long, il y a le jour du seigneur...

Et il y a le jour où il aurait fallu que je ferme ma grande gueule !

C’est toujours la même chose : je sais bien que ce que je vais dire peut me porter préjudice, ou bien m’engager durablement ou encore dépasser largement le cadre de mes convictions… Tant pis, ça sort de ma bouche quand même comme un jeu ou plutôt comme un défi !

En l’occurrence aujourd’hui il s’agit de paris stupides avec Carole sur tout et sur n’importe quoi et dont l’enjeu est… un cadeau à la fin de la semaine. C’est d’autant plus stupide de ma part que Carole mène allégrement 6 à 1 dans la série des paris déjà faits, que la fin de la semaine c’est bientôt et que je ne vois vraiment pas comment la mettre à mal avec des nouveaux défis !

Et si je devais m’affubler sur le champ d’un sobriquet en rapport avec la situation présente ce serait assurément celui de « Cucul la praline », plus en souvenir d’une histoire que Carole m’avait raconté 1 ou 2 jours auparavant que par la réputation dont je jouis auprès de ma famille, de mes amis ou de mes collègues de bureau… enfin j’espère !

Quant à l’histoire de Carole, elle nous avait mis tous les 2 dans une situation de fou-rire communicatif qui aurait pu se répandre largement à toutes les tables du restaurant où nous dinions si les convives présents avaient compris le Français. Il s’agissait d’un rêve de la nuit précédente où il était question d’un jeu télévisé de mots croisés et où Carole avait trouvé pour l’occasion le mot le plus long : « Cucul la praline » sous le regard admiratif et médusé des autres compétiteurs.

Les rêves sont souvent étranges et indéchiffrables mais pour le moment le « Cucul la praline » (CCLP pour les intimes) c’était moi !

Le premier pari avait été engagé dès notre arrivée en Crète et concernait le montant de la note de restaurant du soir. Personnellement je n’avais pas noté le prix des plats et Carole non plus, nous avions donné chacun un chiffre au hasard et au regard de l’addition mon estimation était bien plus éloignée de la réalité que la sienne : Carole 1 – CCLP 0

Au restaurant suivant, j’avais consciencieusement mémorisé le prix du Tzatziki, des Saganakis, des Souvlakis au poulet ou des Calamars frits plus les boissons que nous avions commandés, mais j’avais omis de compter le montant forfaitaire de base pour un repas (correspondant aux couverts et au pain) qui est une pratique commune dans bien des pays (en particulier en Grèce) mais jamais en France… Carole 3 – CCLP 0

Honnêtement je ne me rappelle pas vraiment quand j’ai pu gagner le seul pari de tout le concours, pari que Carole a dû me laisser par pure pitié. En tout cas ce n’était pas le jour où le restaurateur s’était trompé dans son addition en ma défaveur, addition qu’en « grand seigneur » (surtout pour Carole) je n’avais pas contesté… Carole 6 – CCLP 0

Un autre genre de pari concernait la quantité d’essence quand on faisait le plein à la pompe : celui (ou celle) qui consommait le moins avait gagné. Ce pari était d’autant plus hasardeux que mon scooter était le seul avec une jauge à essence qui fonctionnait (tant bien que mal) et que nous n’avions, ni Carole ni moi, un compteur de vitesse en état de marche. Et dans ces conditions, le passage à la pompe se décidait plutôt au « doigt mouillé », si possible avant de tomber en panne sèche ! Les scooters étant les mêmes que ceux précédemment loués en 2012 et 2013 et qui nous paraissaient déjà à l’époque rouillés et « moisis ».

Le premier plein a été largement favorable à Carole, mais je n’avais fait aucun effort particulier pour limiter la consommation… Carole 2 – CCLP 0

Par la suite j’ai conduit à « l’économie » en limitant les accélérations et les freinages malgré les belles routes en lacets, en évitant les chèvres à travers des paysages changeants, tantôt arides et rocailleux, tantôt plantés d’oliviers ou de vignes. La Crète est un pays de dénivelés et les montées étaient plutôt délicates à négocier pour consommer moins, tandis que je coupais les gaz dans la moindre descente même si à ces moments précis mon pot d’échappement percé pétaradait comme jamais. Par ailleurs et comme je roulais toujours en tête de convoi, je tachais d’éviter que Carole ne soit trop proche de ma roue arrière pour à tout prix l’empêcher de profiter de « l’aspiration » de mon scooter.
A la station-service d’après le verdict est tombé : ma consommation était la même que précédemment alors que celle de Carole avait diminué drastiquement et aurait pu faire pâlir d’envie les ingénieurs de chez Volkswagen, mais la bougresse avait un secret : elle avait conduit à « l’économie » comme moi… Carole 4 – CCLP 0

Malgré tout, une telle différence de consommation ne pouvait s’expliquer que par d’autres raisons : l’inclinaison du scooter au moment du remplissage du réservoir ? L’utilisation de la béquille centrale ? Ou tout simplement le fait que le pompiste ne remplissait peut-être pas le réservoir de Carole à ras bord comme le mien ? (En éliminant quand même l’idée saugrenue d’une connivence entre eux !) La fois d’après c’est moi qui ai rempli les réservoirs… Carole 5 – CCLP 0

La compétition qui virait jour après jour en ma défaveur n’a pourtant pas affecté mon humeur joyeuse habituelle et mon envie de profiter de cette région merveilleuse où la conduite en scooter est un plaisir. Tous les jours nous profitions de la cuisine Crétoise à base d’une huile d’olive unique, de tomates, poivrons et concombres gouteux, de poissons ou autres poulpes frais, de fromages de lait de brebis nature ou grillé (les fameux Saganakis), nous dormions dans des hôtels près de la mer comme à Kato Zakros en plein milieu de nulle part et tout au bout d’un cul de sac, où à Matala, ancien repère de hippies qui y faisaient étape sur la route de Katmandou et qui résidaient dans des grottes creusées à même la falaise. Et j’ai pu aussi me baigner dans une eau limpide sans la foule (étant presque toujours seul) et sans claquer des dents.

Le dernier soir nous redécouvrions la très belle ville de Réthymnon qui nous avait paru un peu terne lors d’un précédent voyage (pourquoi ?), et il était grand temps de trouver le cadeau pour Carole et ainsi de m’acquitter de la dette des paris perdus. En peu de temps Carole choisissait un collier fantaisie dans une des rues animées de la vieille ville et j’ai enfin pu me sentir débarrassé de ce surnom qui me collait à la peau : dorénavant (mais pour combien de temps ?) je n’étais plus « Cucul la praline ».