Marco est Italien, c’est notre guide et c’est lui qui va nous conduire sur les bords du cratère du volcan Stromboli…
Et pour l’occasion nous allons emprunter un ancien chemin qui va longer la zone de déjection de la lave : la Sciara del fuoco. Ce chemin n’est plus très utilisé car trop exposé à des éruptions intempestives du cratère et à ses bombes volcaniques, mais c’est une chance, car contrairement aux nouvelles voies maintenant fréquentées, celle-ci a l’avantage de montrer toute l’activité du volcan quasiment dès le premier tiers de son ascension.
Willy, Luc et moi marchons au milieu d’un groupe de lycéens Allemands sportifs et Marco nous parle à tous en Anglais pour se faire comprendre. Il ne dédaigne pourtant pas discuter avec nous en Français et en petit comité.
En ce moment son discours est en Anglais pour nous avertir que la portion de chemin que nous allons emprunter est un peu dangereuse, et j’ai franchement l’impression qu’il s’adresse exclusivement à moi car il me regarde de façon quasi permanente. Tout à l’heure quand il avertissait que nous étions à un point de non-retour et que c’était la dernière chance pour nous de laisser tomber si on ne le « sentait pas », peut-être espérait-t-il que je flanche, que j’abandonne et que je rentre la tête basse au bercail ? Comme si j’étais un mec qui attendait impatiemment qu’on lui tende la perche pour trouver une porte de sortie sur ce chemin interminable et éprouvant ! Je dois avoir pour lui le profil idéal du candidat au renoncement ou à l’échec. Ai-je l’œil hagard ? Le regard perdu ? Le souffle coupé ? Le pas maladroit ? Le teint violacé ? C’est ma gueule ? Quoi ma gueule, mais qu'est-ce qu'elle a ma gueule?
Il m’a probablement vu vaciller ou perdre un peu l’équilibre sur le sol meuble ou les marches un peu hautes, me cogner la tête sur le sac à dos de la personne devant moi à force de regarder mes pompes, ou oublier mon casque dans l’herbe haute lors de la dernière pause…
Mais Marco se trompe : depuis qu’on a en ligne de mire la Sciara del fuoco qui fait quelquefois office de vaste toboggan de lave et de matière incandescente (ce ne sera malheureusement pas le cas cette fois) et surtout depuis qu’on entend distinctement le monstre gronder, éructer et pétarader, je me sens pousser des ailes ! J’ai vraiment hâte d’être tout là-haut et je grimpe les raidillons glissants à quatre pattes, et je longe les crêtes sans vaciller ni tourner de l’œil… même pas peur !
Près du sommet on fait une pause, la végétation de genêts et d’herbes rases a disparu et il est grand temps de mettre une petite laine alors que le soleil se couche tranquillement à l’horizon. C’est alors le bon moment pour alléger le sac à dos, sortir les vêtements chauds prévus pour la circonstance et engloutir le restant de calories des bananes, gâteaux secs et autres fruits séchés. Nous sommes à ce moment tout près de 2 petits murs faits de béton et d’acier sensés nous abriter dans le cas d’explosions violentes et intempestives du volcan, et qui nous paraissent tellement épais qu’ils auraient pu aussi nous protéger d’une déflagration nucléaire (à condition que la bombe explose du bon côté !).
En face de nous et à la même hauteur se trouvent de petits cônes volcaniques qui expulsent périodiquement de la matière magmatique, les appareils photo sont tous braqués dans la même direction mais il fait encore trop jour ! Je suis en short, j’ai fini mes gâteaux secs, j’ai mis mon casque sur la tête et je suis en train de sautiller convulsivement sur place car ma vessie est sur le point d’exploser, mais je ne vois aucun endroit tranquille pour la soulager (ma vessie !); je ne vais quand même pas aller pisser contre un des murs à la vue de tout le groupe ! Et c’est à ce moment-là que le plus proche des cônes commence à siffler furieusement avant d’éjecter une grande quantité de bouillie incandescente dans un vacarme assourdissant. Cette soudaine humeur volcanique nous a tellement surpris qu’aucun d’entre nous n’a filmé la scène. Willy est furieux d’avoir raté une telle occasion, Luc et moi sommes abasourdis mais aussi très excités car nous croyons fortement aux prochaines répliques.
Le groupe repart alors le long d’une crête faite de poussière volcanique vers le point le plus haut du cratère, sorte de plateforme située au-dessus du spectacle de « son et lumière », j’en profite pour aller pisser discrètement derrière le mur et je cours ensuite rejoindre tout le monde malgré la raideur de la pente et les chaussures qui s’enfoncent dans le sol sablonneux. Tout là-haut il y a convergence des différents groupes d’apprentis vulcanologues qui sont rassemblés, il fait maintenant nuit noire (mais on a nos lampes torches !) et Marco trace une ligne sur le sol avec un bâton en nous demandant expressément de ne pas la franchir. Que Marco se rassure, je pense que vraiment personne n’aurait eu l’idée saugrenue et plutôt suicidaire de s’approcher trop près du bord, au risque de glisser irrémédiablement vers les portes de l’enfer (en l’occurrence vers le magma rougeoyant en contre-bas).
Nous serons ensuite les spectateurs privilégiés d’un « show » véritablement féerique pendant près d’une heure avec une succession ininterrompue d’explosions en provenance des différents cônes et où la matière semblait s’éparpiller en confettis sur le sol.
Pour le retour nous nous sommes tous élancés sur un autre versant du volcan et dans une descente vertigineuse sur un terrain fait de scories et de cendres, dévalant la pente en courant, un masque anti-poussière à 2 « balles » de chez Leroy Merlin sur le visage et dans un temps record sans commune mesure avec celui qui nous avait permis péniblement de faire le chemin dans l’autre sens.
A l’arrivée la douche est obligatoire pour ne pas avoir l’impression de passer le restant de la nuit à dormir sur du sable et je suis trop las pour me laisser tenter par un restaurant (ce qui me paraît aussi très hypothétique en regard de l’heure tardive).
Le lendemain mes compères me racontent comment ils ont englouti, la veille et après la douche de la nuit, une énorme pizza « calzone » (ma préférée) et je suis perclus de courbatures, c’est moche !