Assamaka est un bled qui sert de poste frontière entre l'Algérie et le Niger en plein milieu du Sahara ...
Les bicoques sont couleur sable, les talus sont en sable, et les rues ? C'est du sable ! Seule touche de couleur, l'énorme dépotoir à ordures d'où émergent les sacs plastiques, et planté à la périphérie du village touchant presque les premières maisons.
C'est exactement la vision qu'on a des lieux quand on vient des dunes de Laouni dans le désert Algérien, après quelques jours passés en dehors de toute forme d'habitat humain, mais pas des humains eux-mêmes voyageant en grand nombre et avec qui, au moins certains d'entre eux, la rencontre fût extraordinaire ou surprenante.
Et tout d'abord avec ces routiers de 2 semi-remorques transportant une pleine cargaison de semoule à destination du Niger : avec nous ils ont partagé leur diner autour d'un feu et sous la lumière des étoiles et dans le silence assourdissant des étendues désolées du Hoggar. C'était du couscous maigre en viande avec bien évidemment de la semoule à volonté qu'il suffisait de récupérer en donnant un coup de couteau dans le premier sac venu.
Plus tard, alors qu'on était arrêté au milieu de nulle part sur un plateau rocailleux, on aperçoit un point mobile vacillant dans les volutes de poussières. Etait-ce un mirage ? Un motard esseulé ? Un dromadaire perdu ? La chose avance toujours et bientôt on découvre avec étonnement un hollandais en bicyclette qui nous demande de l'eau, comptant sur la solidarité des gens du désert pour se ravitailler (forme d'entraide dont nous entendions parler pour la première fois) et qui, à la question de la difficulté de traverser le désert seul et à vélo, nous a répondu comme une évidence qu'il suffisait de dégonfler légèrement les pneus pour avancer plus facilement dans le sable.
Sur le parcours des dunes de Laouni, au sable mou et « piégeux », nous avons mis en pratique la solidarité des lieux en distribuant à nouveau de l'eau, mais cette fois-ci pour les radiateurs de voitures Françaises hors d’âge et tout près d'être hors d'usage, destinées au marché parallèle d'Afrique noire, et pour qui le fait de dégonfler les pneus ne suffisait pas forcément à s'en sortir.
Au volant du Land j'étais plutôt serein, maniant le blocage de différentiel des roues avec dextérité, contrairement à mes compagnons motards quelquefois par terre ou ensablés dans ce paysage fantasmagorique de fin du monde semé des carcasses calcinées des voitures ayant terminées leur vie automobile dans un feu de joie, feu allumé par les propriétaires eux-mêmes par dépit de ne pouvoir avancer plus loin et ne souhaitant pas abandonner gracieusement les pièces détachées aux plus chanceux qui arrivaient à franchir l'obstacle.
Nous sommes maintenant à Assamaka, et à peine garés, toujours à l'intérieur du véhicule, nous voyons arriver à 50 mètres un groupe de soldats en arme. Bizarrement, est-ce lié ? Mes intestins se crispent et quelques gouttes de sueur froide perlent dans mon dos. Il faut dire que le pas de ces soldats est rapide et que la réputation des armées du coin ne nous fait pas penser d'emblée au traditionnel cocktail de bienvenue. A 20 mètres la peur monte d'un cran, pas de doute ce sont des mercenaires ! Il n'y a pas deux uniformes identiques et c'est la même chose pour les armes dont certaines me rappellent mon service militaire et le fameux MAS36 dont l'année de fabrication fait partie intégrante du nom du fusil.
Ma crainte est d'autant plus vive que j'ai du mal à distinguer le chef du groupe, que dans leur regard dur et déterminé je ne vois aucun signe de bienveillance ou tout au moins de cordialité. Certains sont habillés en short et T-shirt et chaussés de bottes en caoutchouc ou de sandalettes, et je devine déjà le mobile parfait pour nous dépouiller et nous laisser en caleçon au milieu du désert.
A 10 mètres, mon cœur s'emballe d'un coup. Non seulement leur attitude semble vindicative, mais en plus ils manient leurs armes comme quand je jouais aux cowboys et aux indiens : même si leur intention n'est pas de nous trucider sur le champ, ça va finir par arriver sans le faire exprès ! Je ne reverrais pas la plus belle femme du monde que j'ai laissé dans le RER C en banlieue parisienne et à qui je n'ai même pas fais mes adieux comme il se doit.
Ils sont maintenant à 2 mètres, j'ouvre la vitre du Land côté conducteur, lentement, comme le condamné fumant sa dernière cigarette, et là, stupeur ! D'un seul coup ça va franchement mieux : celui qui semble être le chef, uniforme presque assorti, bottes cirées, arme récente, me demande d'un œil intéressé derrière ses fausses Ray-Ban à monture dorées si les pneus de rechange sur le toit de notre 4X4 sont à vendre. Je suis alors comme un poisson dans l'eau dans le monde des affaires, mais on ne vendra strictement rien à cette avant-garde de l'armée Nigérienne désargentée, armée dont nous apprendrons par la suite qu'elle a attaqué et blessé par erreur un groupe de touristes Italiens qui campaient dans le désert, les prenant pour des insurgés Touaregs.